Ma mère dit toujours
que la vie est une éternelle surprise, à laquelle on est plus ou moins bien
préparé.
Ces paroles pleines
d'une sagesse toute parentale se sont encore vérifiées ce matin, alors que
j'étais tranquillement en train de siroter mon verre de lait dans quelque
modeste auberge d'une non moins modeste bourgade dont le nom m'échappe.
Appelons-la
Boueville, mais je vous jure qu'il n'y a là nulle moquerie : ce qui m'a marqué
d'elle est avant tout sa rue principale pleine de gadoue, qu'il est
littéralement impossible de traverser sans se crotter les chausses jusqu'aux
genoux.
C'est donc en un
matin pas si différent des autres (temps humide, mines maussades et blasées des
adultes, airs émerveillés des gamins devant un Lion de deux mètres de haut tout
en habit) que mon voyage, passé dans une relative quiétude durant les six mois
précédents, connut un tournant avec l'irruption de ce curieux petit personnage
dans l'auberge.
A son accoutrement
efféminé, il s'agissait d'un mage.
A son visage
jaunâtre, il était mal en point. Non qu'il ne fût jaune d'habitude, ceci dit :
je commence à avoir vu passer suffisamment d'ethnies des plus diverses et
étranges pour reconnaître un elfe doré quand j'en vois un. Cependant, ce jaune-là était manifestement signe d'un
problème de santé, impression renforcée par la détresse de ses traits.
Voire complètement
confirmée par l'appel qu'il lança à la cantonade.
"Amis",
débuta-t-il, "je requiers votre assistance pour un problème qui est une
question de vie ou de mort pour moi."
Au contraire des
autres, je l'écoutais déjà attentivement lorsqu'il ajouta "Je peux
payer.", parvenant ainsi à captiver instantanément l'auditoire, comme s'il
racontait la bataille épique entre Mumbasa-aux-Deux-Pattes et Firys, le Dieu
Hyène.
Le Père Lion nous
enjoint d'aider ceux qui sont dans la détresse dans la mesure de nos
possibilités, sans chercher à obtenir quoi que ce soit en retour, et c'est en
suivant ce précepte que j'allai le voir, le visage mal dissimulé par une lourde
capuche qui ne pouvait tout à fait dissimuler mes traits.
"Quel est donc
votre problème, ami ?", lui dis-je en m'approchant.
Il me raconta donc
son étrange histoire : il faisait route vers la capitale locale en compagnie
d'une troupe lorsqu'ils furent attaqués par une escouade d'orques.
Ses compagnons
furent massacrés mais lui eut la vie sauve en échange d'un "service"
aux conditions très particulières : il devait retrouver le Crâne de Gruumsh,
relique maléfique dérobée à la tribu quelques lunes plus tôt. Et pour s'assurer
de la diligence de l'elfe, le shaman l'empoisonna volontairement d'une
substance qui mettrait trois jours à le tuer.
Avant ce délai, il
devrait donc être de retour avec le crâne pour recevoir l'antidote.
Je lui offris mon
aide, doutant toutefois que mes compétences thaumaturgiques fussent suffisantes
pour arrêter la progression d'un mal que je devinais complexe et puissant. Mais
si je ne pouvais le guérir, je pouvais peut-être l'aider dans sa quête et, s'il
mourait trop tôt, tenter de me débarrasser de la relique.
Commençant à
connaître les orques, mon instinct me disait que ce n'était pas une babiole
pour les enfants de cœur. Combattre le mal, c'est souvent faire le bien.
"Je peux vous
aider également, si vous y mettez le prix."
Fait rare, la voix
rocailleuse qui venait de prononcer ces mots semblait venir de plus haut que
mes propres oreilles… Je me retournai pour découvrir… en parlant d'Orques, c'en
était un ! Mais celui-ci était toutefois très différent de ceux que j'avais rencontrés
jusqu'alors : il me dépassait d'une bonne tête et semblait si massif que je
paraissais presque freluquet (presque !) en comparaison.
Sa stature et
l'immense double hache dans son dos fleuraient bon le poète en puissance, mais
au moins ses motivations étaient claires : l'argent. Il était suffisamment
appâté par le gain pour admettre de travailler pour un elfe, ce qui n'était pas
peu dire.
Malgré une autre
annonce à voix haute, personne d'autre ne semblait vouloir joindre nos rangs ;
c'est donc à trois que nous empruntâmes le chemin vers la capitale
Grand-BoueVille, certains indices laissant penser que le voleur du crâne
pourrait s'y trouver.
Nous n'allâmes
toutefois pas bien loin : cela faisait à peine que quelques kilomètres depuis
le départ de l'auberge lorsque l'Orque (ou plutôt l'Orogue) nous signala que
nous étions suivis… un peu tardivement puisque le petit personnage qui se
tenait près de nous jouait à jongler avec la bourse du mage !
L'elfe lunaire qui
nous toisait nous avait pisté discrètement puis dérobé afin de nous montrer ses
talents, réels à n'en pas douter, même si pour ma part je le trouvais bien
petit. Sa vénalité, toutefois, n'avait manifestement rien à envier à celle du
barbare qui nous accompagnait !
L'altruisme prôné
par Mumbasa avait bien du chemin à faire vers le cœur des êtres intelligents…
C'est donc désormais
quatre que nous poursuivîmes notre chemin vers Grand-BoueVille, sans plus de
perturbations.
Grand-BoueVille
était… comment dire. Voyons, si je l'ai surnommée ainsi, gageons que ce n'est
pas pour son ambiance florale, ni la netteté de découpe de ses routes pavées.
Et toujours cette
pluie incessante… J'avais connu plus de pluie lors du dernier mois que lors de
mes seize premières années, et commençai à oublier la douce chaleur des rayons
solaires…
Nos indices nous
menèrent jusqu'à une auberge où notre homme était censé vivre. Il était même
encore sur le registre, d'après la
tenancière édentée ! Peut-être allions-nous être chanceux et tomber sur le
crâne illico ?
Nos espoirs furent
bien vite balayés par le poids semblant barrer la porte de sa chambre ; ça
ressemblait fortement au blocage que pourrait procurer un cadavre… Ce qui nous
fut confirmé après que nous eûmes défoncé la porte : la pièce était
parfaitement vide de toute activité quelconque, excepté un homme ouvert en deux
comme une babane trop mûre qui s'avéra être celui que nous cherchions…
Interrogée,
l'aubergiste nous révéla que notre homme avait reçu la visite d'un commerçant
avec qui il était manifestement en affaire et qui l'avait ouvertement menacé…
C'était désormais la
seule piste dont nous disposions et nous partîmes à la recherche d'informations
sur cet homme, dans ces ruelles sombres et boueuses (je vous avais déjà parlé
de la boue, je crois ?).
Notre elfe pâlot
détecta que nous étions de nouveau suivis (quelle manie !) et nous décidâmes de
tendre une embuscade à nos poursuivants, au détour d'une vieille bâtisse au
toit de chaume.
Nous découvrîmes
deux hommes visiblement très surpris de se faire tomber dessus… L'un d'eux fut
même complètement tétanisé lorsque l'Orogue lui intima de ne plus bouger !
J'eus moins de
succès lorsque je tentai d'attraper l'autre : ce dernier parvint à me glisser
entre les pattes et s'enfuir comme s'il avait le dieu Hyène aux trousses.
Nous avions
toutefois au moins une personne à interroger, afin de tenter de remporter cette
course contre le poison…
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